Entretien avec Jean-Paul Rouve
Comment avez-vous accueilli la proposition de Vanessa Filho d’incarner Gabriel Matzneff à l’écran ?
J’avais été bouleversé par le récit de Vanessa Springora, que j’avais trouvé fin, intelligent, jamais manichéen, et éclairant sur la mécanique d’emprise. Je ne connaissais pas Matzneff avant de lire ce texte, et lorsqu’on m’a appelé pour l’interpréter, j’ai été immédiatement intéressé. C’est un peu comme lorsqu’on vous propose de jouer Richard III ! J’ai donc dévoré le scénario de Vanessa Filho, que j’ai trouvé très fidèle à l’esprit du livre. Cela m’a rendu curieux : j’avais envie d’essayer de comprendre qui était cet homme.
Entretien avec Vanessa Filho
Comment vit-on trois ans durant avec cette histoire, en se documentant autant, en infiltrant presque la psyché de ses protagonistes ?
J’ai découvert l’emprise au plus profond et j’ai vécu avec cette douleur. Plus j’avançais dansson écriture, plus ce film me devenait nécessaire, viscéral, plus il m’habitait. Avant de me lancer dans l’écriture, il me fallait connaître le personnage, l’auteur et l’époque. J’ai commencé par lire ses livres, donc ses romans, ses essais, ses journaux intimes aujourd’hui introuvables, sur lesquels il a fondé sa réputation, et dans lesquels il ne cesse pourtant de se répéter, à la manière d’un adolescent, signant son narcissisme, son empathie inexistante, sinon à son égard, sa profonde autosatisfaction, et une vaste culture souvent brillamment évoquée, commentée, et toujours mise à son propre service. Il s’y vante de ses conquêtes et j’ai découvert le prédateur, la régularité de son mode opératoire, ses victimes, ses complices... J’ai aussi regardé, écouté beaucoup d’interviews. J’ai appris à connaître sa rhétorique, le jeu de ses répétitions, cette manière aristocratique de s’exprimer, cette faculté de mêler termes savants et rares à un langage familier, qui manifestement amusait et séduisait son auditoire. Personne n'est invulnérable face à la manipulation. Nous sommes tous de potentielles proies et victimes, pour peu que certains moments de nos vies, certaines situations affaiblissent nos protections, nos capacités à raisonner, à choisir, à résister.